mercredi 1 septembre 2010

Les surprises du Ladakh

Tristement rendu célèbre par des intempéries sans précédent, le Ladakh recèle pour le visiteur bien d’autres surprises que ses hauts sommets et ses temples (ou que ses catastrophes): une expérience de l’interculturel dans une société en plein bouleversement. District de l’Etat de Jammu et Cachemire, le plus septentrional de l’Union Indienne, coincé entre le Pakistan à l’ouest et la République Populaire de Chine à l’est, ce territoire trois fois grand comme la Suisse foisonne de pépites variées dans un paisible désert de haute altitude. Cette première chronique va tenter de présenter mon cadre de vie, afin que les suivantes puissent vous faire partager quelques émotions et réflexions.

L’arrivée à Leh prend la forme d’un paradoxe. Après avoir, depuis New Delhi, survolé encore et encore des étendues blanches puis ocres, étendues vides dont l’austérité vous frappe même bien assis derrière votre hublot, le tohubohu qui vous happe dans la capitale ladakhie semble bien incongru. Bien que l’on sache que la population de Leh triple durant la saison estivale pour atteindre 30 000 personnes, on est interloqué par ce déluge de modernité dans ce beau milieu de nulle part. Modernité, qui ici prend avant tout l’odeur de la pollution. On croyait avoir l’air pur, on a des gaz d’échappements et de générateurs à faire regretter le périphérique. Il y a moins de 40 ans, cette société vivait encore à l’écart de la mondialisation, dans un équilibre, certes frugale, entre hommes et terre. Notre modernité ne serait-elle donc pas forcément synonyme de  ''progrès''?

Entre la chaîne himalayenne au sud et celle du Karakoram au nord (note 1) , les hauts plateaux et vallées ladakhis s’étendent entre 2 500 et 5 000m d’altitude, tandis que les plus hauts sommets dépassent 7 000m. Dans ce décor fabuleux s’est développé le bouddhisme tibétain, avec, parmi les 100 000 habitants, une forte minorité musulmane. La géologie et la culture invitent ainsi à la paix de l’esprit ; la réalité socioéconomique à un voyage plus intime et profond.

Le « Petit Tibet » est donc un désert, traversé par l’Indus et parsemé d’oasis. La saison propice à l’agriculture dure, au mieux, de juin à septembre. Avant même l’arrivée des peuples tibétains au VIème siècle ap. JC (note 2) , un système d’irrigation captait l’eau de fonte des neiges pour abreuver les rares terres arables. Aussi, une alliance pluriséculaire entre sédentaires et nomades avait permis au peuple ladakhi de subsister dans ce milieu aussi grandiose et coloré qu’hostile – l’hiver, les températures taquinent les -30°. Aujourd’hui, les canaux drainent une eau habillée de bouteilles et de sacs plastique. Comme pour les vêtements, la nourriture et l’énergie, l’eau potable vient désormais de l’extérieur. De New Delhi, du « centre ». Le Ladakh, autrefois autosuffisant, a été reléguée à la périphérie par le « développement ». Pourtant, les sourires de ses habitants, les julay (note 3) qu’ils lancent généreusement à votre rencontre semblent mériter bien mieux.

C’est dans ce cadre, et celui de mes pérégrinations ladakhies, que je vous proposerai des chroniques sociales. En essayant de ne pas tomber dans une fascination béate de la société locale, j’espère ainsi pouvoir apporter un peu d’air frais et un regard enrichissant. Une invitation à se décentrer de nos us et coutumes « d’homo industrialis » (note 4).



Note 1: Genoud Charles, Chabloz Philippe (2006), Ladakh – Zanskar, Guides Olizane – Aventure, Genève (réed.), p. 13
Note 2: Ibid, p. 111

Note 3: Mot signifiant aussi bien « bonjour » que « au revoir » ou « merci »
Note 4: Norberg-Hodge Helena (1991), Ancient Futures, Learning from Ladakh, Oxford India Paperbacks, p. 2

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