mercredi 1 septembre 2010

Désastre au Ladakh : « Dieu est grand », mais l’homme aussi

De la responsabilité et de la solidarité (note 1)


Au Pakistan voisin, les intempéries ont touché des millions de personnes, et ont fait des milliers de victimes. Ici, au Ladakh, l’ampleur des dégâts n’a pas pris la même mesure. Pour autant, leurs conséquences ont revêtu également un caractère tragique. « Dieu est grand » m’a soufflé un ladakhi dont la maison gisait dans 1,50 m de boue et dont des voisins sont morts. L’homme ne l’est-il pas moins, pour être irresponsable ou solidaire ?

« Dieu est grand », et, dans ce cas, est tout autant cruel. Ses caprices mortels, injustes ont constitué une des essences fondamentales des révoltés (note 2) . Le spectacle de désolation ne fait qu’alimenter la mienne. Dans la nuit du 5 au 6 août, au dessus de Leh et de ses alentours, un phénomène climatique rare et violent – un éclatement de nuage – a entraîné des précipitations énormes. Une coulée de boue, qui par endroit a atteint 4 m de hauteur, a déferlé sur la partie est de la ville. Plus de 150 morts et 200 disparus. Des quartiers entiers écroués dans 1,50 m de boue, des maisons éventrées, des bus concassés. A Choglomsar (7 km à l’est de Leh), le bilan est encore plus terrible. Pour une population estimable à 7 000 personnes, il y aurait plus de 1 000 morts et disparus.

« Dieu est grand », mais, comme souvent dans les catastrophes naturelles, l’homme lui a filé un sérieux coup de mains. En effet, la multiplication des constructions au bord des rivières, sous les pentes sableuses, et la pollution exponentielle des cours d’eau ne doivent rien au hasard. Elles ont largement contribué à rendre la furie des cieux bien plus meurtrière qu’elle n’aurait pu l’être.

Si l’homme est grand pour courir à sa perte, il l’est aussi pour être solidaire. L’organisation des communautés, bouddhiste et musulmane, leur engagement et leur réactivité me sont apparus comme édifiants. « Communauté ». Un presque gros mot en France (pour moi le premier). Ici, les trois jours que j’ai passés avec l’association musulmane à déblayer la boue de Choglomsar en ont rendu ma perception moins tranchée. Les communautés peuvent constituer un ressort efficace du lien social, une force d’action permettant de suppléer l’Etat, de ne pas se déresponsabiliser en se défaussant sur ce dernier.

Dans cette solidarité, les dons et grandes ONG internationales ont afflué. Cependant, comme pour le tsunami, certaines d’entre elles ne connaissent rien au territoire. Aussi, pour reloger les sinistrés, la mise en place de préfabriqués a été avancée par l’ONG Millenium International, étant donné qu’elle maîtrise parfaitement cette technique . Or, d’ici à peine deux mois, les températures vont passer puis plonger au dessous de 0°…

Ainsi, que ce soit pour être responsable ou solidaire, la connaissance du territoire et des communautés apparaissent comme des principes d’action incontournables. Avec discernement, les travailleurs sociaux, d’ici et d’ailleurs, peuvent s’appuyer sur ces principes. Les défendre. Les promouvoir. Les appliquer, pour suppléer, pour dépasser le cadre planté par l’Institution, l’Etat et Dieu.

 
Note 1 Pour les photographies relatives à cette chronique, je tiens à signaler que je n’ai pas voulu en prendre juste après la catastrophe. N’étant pas journaliste, cela me paraissait indécent. Par contre, il m’a semblé important de donner à voir l’étendue des dégâts restants une semaine après les intempéries.



Note 2: Camus Albert (1951), L’homme révolté, Gallimard, coll. Folio Essais (réed. 2009), p. 54

Les surprises du Ladakh

Tristement rendu célèbre par des intempéries sans précédent, le Ladakh recèle pour le visiteur bien d’autres surprises que ses hauts sommets et ses temples (ou que ses catastrophes): une expérience de l’interculturel dans une société en plein bouleversement. District de l’Etat de Jammu et Cachemire, le plus septentrional de l’Union Indienne, coincé entre le Pakistan à l’ouest et la République Populaire de Chine à l’est, ce territoire trois fois grand comme la Suisse foisonne de pépites variées dans un paisible désert de haute altitude. Cette première chronique va tenter de présenter mon cadre de vie, afin que les suivantes puissent vous faire partager quelques émotions et réflexions.

L’arrivée à Leh prend la forme d’un paradoxe. Après avoir, depuis New Delhi, survolé encore et encore des étendues blanches puis ocres, étendues vides dont l’austérité vous frappe même bien assis derrière votre hublot, le tohubohu qui vous happe dans la capitale ladakhie semble bien incongru. Bien que l’on sache que la population de Leh triple durant la saison estivale pour atteindre 30 000 personnes, on est interloqué par ce déluge de modernité dans ce beau milieu de nulle part. Modernité, qui ici prend avant tout l’odeur de la pollution. On croyait avoir l’air pur, on a des gaz d’échappements et de générateurs à faire regretter le périphérique. Il y a moins de 40 ans, cette société vivait encore à l’écart de la mondialisation, dans un équilibre, certes frugale, entre hommes et terre. Notre modernité ne serait-elle donc pas forcément synonyme de  ''progrès''?

Entre la chaîne himalayenne au sud et celle du Karakoram au nord (note 1) , les hauts plateaux et vallées ladakhis s’étendent entre 2 500 et 5 000m d’altitude, tandis que les plus hauts sommets dépassent 7 000m. Dans ce décor fabuleux s’est développé le bouddhisme tibétain, avec, parmi les 100 000 habitants, une forte minorité musulmane. La géologie et la culture invitent ainsi à la paix de l’esprit ; la réalité socioéconomique à un voyage plus intime et profond.

Le « Petit Tibet » est donc un désert, traversé par l’Indus et parsemé d’oasis. La saison propice à l’agriculture dure, au mieux, de juin à septembre. Avant même l’arrivée des peuples tibétains au VIème siècle ap. JC (note 2) , un système d’irrigation captait l’eau de fonte des neiges pour abreuver les rares terres arables. Aussi, une alliance pluriséculaire entre sédentaires et nomades avait permis au peuple ladakhi de subsister dans ce milieu aussi grandiose et coloré qu’hostile – l’hiver, les températures taquinent les -30°. Aujourd’hui, les canaux drainent une eau habillée de bouteilles et de sacs plastique. Comme pour les vêtements, la nourriture et l’énergie, l’eau potable vient désormais de l’extérieur. De New Delhi, du « centre ». Le Ladakh, autrefois autosuffisant, a été reléguée à la périphérie par le « développement ». Pourtant, les sourires de ses habitants, les julay (note 3) qu’ils lancent généreusement à votre rencontre semblent mériter bien mieux.

C’est dans ce cadre, et celui de mes pérégrinations ladakhies, que je vous proposerai des chroniques sociales. En essayant de ne pas tomber dans une fascination béate de la société locale, j’espère ainsi pouvoir apporter un peu d’air frais et un regard enrichissant. Une invitation à se décentrer de nos us et coutumes « d’homo industrialis » (note 4).



Note 1: Genoud Charles, Chabloz Philippe (2006), Ladakh – Zanskar, Guides Olizane – Aventure, Genève (réed.), p. 13
Note 2: Ibid, p. 111

Note 3: Mot signifiant aussi bien « bonjour » que « au revoir » ou « merci »
Note 4: Norberg-Hodge Helena (1991), Ancient Futures, Learning from Ladakh, Oxford India Paperbacks, p. 2

dimanche 29 août 2010

PRESENTATION

Photo : Frédéric Grimaud  Tous droits réservés
Un éducateur voyageur en Inde - Sportif de Haut Niveau, triple champion de France des sélections régionales de rugby, formé à l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales (cursus russe et népali), Bertrand Midol poursuit ses études dans le domaine de l'éducation avec un DU Sciences de l'Education et formation à l'université Paris XII, puis un diplôme d'éducateur spécialisé à l'ETSUP.

Il publie en 2010 le livre « Sales Merveilles – Enfants des rues de Kathmandou », en collaboration avec les photo-journalistes Alexia Fourneau et Frédéric Grimaud. A l'occasion de l'une de ses expositions, 7.8.9 RADIO SOCIALE lui propose une chronique sur son site pour continuer à faire partager ses expériences d'éducateur-voyageur en Inde. Ce blog est le fruit de cette collaboration.

"Au gré des rencontrées, des découvertes, des paysages, il s’agira de mettre en perspective des thématiques concernant le travail social à la lumière d’une autre sphère culturelle." - B.M